Les mentors, opportunités et menaces pour le/la jeune artiste ?
IMPULSE mène, en partenariat avec RIST, une recherche en Sciences sociales sur les dynamiques personnelles des jeunes artistes. Ce projet est suivi par le Ministère de la Culture, bénéficie de l’aide de la BPI et se fait en partenariat avec plusieurs institutions des Arts. RIST est une organisation spécialisée sur les questions de management de la recherche et de l’innovation. L’un de ses domaines d’expertise est l’accompagnement des chercheurs et experts scientifiques. La recherche menée par IMPULSE s’appuie sur cette expérience unique, avec un regard critique qui permet de mettre au point des démarches adaptées aux Mondes des Arts. Notre recherche abductive (combinant l’inductif et le déductif) nous fait travailler avec les institutions partenaires, et des artistes qui témoignent de leur trajectoire dans le spectacle vivant et les arts plastiques. L’équipe IMPULSE/RIST : Marjorie Bertin, Laurent Creton et François Fort.
Sans vouloir trop anticiper les résultats de ce projet de recherche (dont la synthèse est prévue en fin d’année), nous donnons quelques aperçus des problématiques abordées et de premières hypothèses.
Le mentor dans le domaine scientifique
RIST a mené jusqu’à présent plus de 350 accompagnements de carrière de chercheurs et d’experts scientifiques. Un travail rétrospectif sur ce corpus, mené par RIST en 2021, montre l’importance pour la personne de disposer dans son réseau d’un mentor ou plusieurs mentors. Nous constatons une différence nette de dynamique entre les chercheurs disposant d’un mentor et les autres.
Mais qu’appelle-t-on « mentor » ? Le terme, bien que parfois employé naturellement par les chercheurs, est mis en avant par RIST pour catégoriser une figure fréquente dans le monde des sciences afin de faciliter son repérage, mais aussi, lors des dialogues, afin de modeler et promouvoir une pratique et un rôle qui nous semblent importants.
Pour l’illustrer, nous prenons souvent l’exemple de ce directeur de grand laboratoire de recherche canadien qui a pris l’habitude, chaque année, d’inviter ses anciens post-docs (du moins certains), venant de tous les pays, dans son vaste chalet entre les fêtes de fin d’année. Le plaisir de se retrouver, de faire du traineau avec de beaux chiens, est mis en avant, mais durant les quelques jours enneigés les échanges vont bon train. Le directeur de laboratoire influence au bon sens du terme, facilite les connexions, a des apartés avec untel ou unetelle, donne son avis sur les stratégies de recherche, sur les choix de trajectoires personnelles aussi. Chacun y trouve son compte.
Que serait le mentor dans les domaines artistiques ?
Tout d’abord une alerte vient à l’esprit : l’image du pygmalion qui façonne sa Galatée puis en tombe amoureux et disons-le macho et profondément toxiques de mentors artistiques bien connus, qui ont exercé leur puissance sur les femmes pour mieux les rabaisser et les dominer. Camille Claudel que son mentor et ainé Auguste Rodin –dont elle fut également la maîtresse et le modèle- laissa soigneusement dans l’ombre, Unica Zürn dont Hans Bellmer fit une sorte de marionnette macabre pour ses photographies, déshumanisant complètement sa compagne qui se suicidera en 1970. Manet –mentor avorté- qui tentera d’étouffer le génie créatif de sa future belle-sœur Berthe Morisot (l’une des fondatrices de l’impressionnisme) en retouchant ses tableaux.
Peut-être faudrait-il alors trouver un autre terme, celui de mentor renvoyant trop vite à des réalités déplorables ? Le problème n’est d’ailleurs pas totalement étranger aux milieux de la science, disons-le.
On pense également aux très fortes personnalités qui ont influencé voire hypnotisé des artistes et universitaires, avec une exclusive à la fois passionnante et questionnante dans l’univers théâtral : Peter Brook et Georges Banu, Giorgio Strehler et Myriam Tannant. Le mentor envahit son sujet, artiste lui-même qui écrit sur un sujet vivant qui le passionne, sachant que dans nos exemples le sujet s’en nourrit et, du fait de sa propre personnalité exceptionnelle, sait rester omnivore.
Se pose la question du risque d’étouffement, que nous rencontrons dans une majorité de nos entretiens avec les artistes. Notamment galvanisé par le narcissisme que ce statut lui procure, un mentor peut en effet rapidement étouffer un jeune, trop l’orienter, lui retirer son champ des possibles, ses capacités d’expansions originales et imprévues, en le guidant exclusivement vers certains de ses réseaux qu’il aura pris soin de choisir, en instaurant une relation de dépendance où la générosité du « don » se fait sans cesse sentir. Pourtant, nous voyons dans nos entretiens que le mentor artistique, lorsqu’il joue positivement son rôle, ouvre des portes, donne des conseils qui peuvent se révéler déterminants.
Le risque est aussi celui que porte en lui l’Agent artistique, autre figure qui peut ressembler, selon les cas, à celle du mentor. Ou du professeur d’Ecole ou de Conservatoire, un mentor possible, lui aussi. On retrouve au détour la question éternelle des bienfaits et des misères de l’autodidaxie !
Nos travaux exploratoires montrent ainsi l’importance d’un équilibre entre cette fonction de mentor (à rebaptiser sans doute), les entourages plus ou moins clos, rassurants mais asséchants parfois, et les mécanismes d’ouverture, d’enracinement dans la vraie vie, de variété des expériences et des épreuves.
Les démarches d’IMPULSE doivent aider les jeunes, s’ils le souhaitent, à ajuster leurs réseaux et leurs relations en fonction de leurs désirs, de leur projet, en évitant tous les écueils.
Pour préciser, ouvrir et mieux comprendre le rôle du Mentor artistique, qui peut, lorsqu’il parvient à surmonter tous ces risques, se révéler très bénéfique, nous organisons un atelier d’échange, gratuit sur invitation, le 19 avril prochain à Paris.
Marjorie Bertin